La start-up marseillaise Seanergy développe une technologie de dessalement de l’eau de mer moins énergivore que les technologies actuelles : la cryo-séparation. Un démonstrateur devrait être installé sur le port de Marseille Fos au deuxième semestre 2023.
Selon l’Organisation météorologique mondiale, plus de 5 milliards de personnes pourraient être concernées par le stress hydrique d’ici trente ans, soit plus de deux tiers de la population globale. Face à ce défi de taille, la start-up marseillaise Seanergy a réussi, après trois ans de recherche, à développer une solution qui permettrait la production d’une eau pure et buvable par glaciation de l’eau de mer : la cryo-séparation.
« Il s’agit de congeler en même temps de l’eau pure, à 0°C, et de l’eau salée, qui gèle à une température légèrement plus basse, autour de -2 °C, vulgarise Hubert Montcoudiol, à la tête de la start-up labellisée French Tech. Un phénomène de séparation de la matière se produit alors : des cristaux d’eau pure se forment et remontent à la surface, tandis que l’eau chargée en sel, liquide, reste au fond ».
Le principe paraît simple. Mais si « des ingénieurs travaillent sur ce processus depuis 30 à 40 ans, jusqu’ici, personne n’est arrivé à mettre cette méthode à un niveau industriel, poursuit l’entrepreneur. Nous y sommes arrivés via une technologie spéciale qui demande une température et une pression très spécifiques ».
Première levée de fonds à 800 000 €
Co-fondée par Hubert Montcoudiol, Hervé de Lanversin et l’ingénieur David Lam, Seanergy vient de franchir une étape importante : en septembre dernier, elle a clôturé sa première levée de fonds d’amorçage. La start-up a collecté 800 000 €, qu’elle utilisera pour assembler le premier démonstrateur de cette technologie prometteuse au sein du technocentre de la Team Henri-Fabre à Marignane. Celui-ci doit être présenté à l’automne 2023.
« Notre raison d’être est très simple : c’est de démocratiser l’accès à l’eau pure pour la rendre accessible au plus grand nombre, développe Hubert Montcoudiol. À des personnes, des villes, des localisations en stress hydrique qui n’ont pas forcément les moyens de se procurer les technologies actuelles, qui sont assez lourdes en infrastructure, coûteuses en achat et en gestion ».
Une alternative aux méthodes existantes
En effet, la cryo-séparation se pose en alternative à l’osmose inverse, qui consiste à filtrer l’eau à travers des membranes par pression osmotique puis de rejeter le sel dans la mer. Une pratique déjà courante dans de nombreux pays du Golfe, comme au Koweït, où 90 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement.
La technique est aussi utilisée plus près de chez nous, en Corse, après un été marqué par des records de sécheresse. Mais, loin d’être une solution miracle, l’osmose inversée s’avère énergivore et coûteuse, en plus de présenter des dangers pour la faune et la flore, notamment à cause des rejets de saumure importants qu’elle génère.
Comparativement, la cryoséparation est une technologie qui consommerait deux fois moins d’énergie (3 kW / m3 contre 1,5 kW / m3) et ne rejetterait ni saumure, ni produits chimiques en mer. Plus agile, elle nécessite aussi moins d’infrastructures.
« Nous nous donnons comme impératif de rejeter une eau de mer qui aura une salinité supplémentaire inférieure à 10 % de celle que l’on a puisée, conformément au processus de Barcelone [partenariat global euroméditerranéen, ndlr] », précise Hubert Montcoudiol.
Fédérer les acteurs régionaux
Une fois finalisé, le démonstrateur devrait être testé pour la première fois à Fos-sur-Mer à proximité du projet Jupiter 1000, qui a pour but de fabriquer de l’hydrogène renouvelable à partir de biomasse. La start-up est actuellement en discussion avec le Grand port maritime de Marseille.
« Nous commençons à recevoir des marques d’intérêt de villes et localisations, qui nous questionnent sur notre technologie et notre capacité à installer des démonstrateurs chez eux pour les déployer », assure Hubert Montcoudiol. C’est le cas de la Métropole Aix-Marseille-Provence, ou encore de la Région Sud. « Les ports deviennent des lieux de vie très importants, et l’eau douce est un véritable enjeu. Le fait que l’on émette absolument aucune pollution est un attrait majeur pour eux ».
Pour l’entrepreneur, une chose est sûre, « ce sont des acteurs qui ont des intérêts majeurs au développement d’une telle technologie et nous avons l’ambition de les fédérer autour de notre projet. Le « faire-ensemble » est pour nous essentiel et extrêmement important », conclut-il. La mer à boire, c’est donc peut-être pour demain.