La start-up marseillaise Les Minettes en Goguette vient de lancer sa première collection de vêtements post-cancer du sein. Modernes, confortables et responsables, certaines pièces sont réalisées avec du tissu issu du recyclage de bouteilles en plastique. Rencontre avec la créatrice.
Aujourd’hui, Véronique Gonzalez va bien. C’est une maman épanouie et pleine de vie, elle qui, il y a quelques années, a frôlé la mort. Son quotidien a été bouleversé en 2016. « Un jour, sous la douche, j’ai senti une boule sous mon sein gauche. Je suis allée voir mon médecin. Après plusieurs examens, on m’a diagnostiqué un cancer du sein », raconte Véronique, avec un léger tremblement dans la voix, qui trahit son émotion à l’évocation de cette période douloureuse.
Afin d’être certaine que la tumeur disparaisse, la Marseillaise a décidé d’opter pour un choix radical : une mastectomie sans reconstruction immédiate. Une procédure qui se conjugue avec une radiothérapie et une hormonothérapie, non sans conséquence. « Quand j’ai commencé l’hormonothérapie, j’ai pris 20 kilos en deux mois, lâche-t-elle. Un sein en moins, 20 kilos en plus, ça fait beaucoup d’un coup. Les hormones se réactivent, m’a expliqué mon médecin, donc cela provoque un chamboulement dans le corps assez conséquent ».
Quand des effets secondaires se tisse un projet
Elle constate, par ailleurs, que la prise de ce traitement engendre d’autres effets secondaires. « Par exemple, j’ai commencé à avoir des montées de transpiration excessive. Un truc de dingue, à être trempée en 30 secondes toujours parce que les hormones bricolent », confie-t-elle.
La texture de sa peau se modifie également avec l’impossibilité de porter certaines matières. Une sensation désagréable qui s’accompagne aussi d’une extrême sensibilité des cicatrices. « La mienne fait 30 centimètres, mais chez certaines femmes elles peuvent être très étendues allant sur le ventre ou dans le milieu du dos ».
Véronique note scrupuleuse ces changements qui lui donnent le sentiment que son corps ne lui appartient plus. Sa vie professionnelle est aussi impactée, tout comme celle de sa famille. Elle avait toujours eu à cœur de maintenir ses enfants éloignés de la maladie « afin qu’ils ne s’inquiètent pas », jusqu’à ce qu’un fâcheux événement ne les ramène à cette réalité. « En rentrant du travail, j’ai retiré mon soutien-gorge post-mastectomie, c’est très compressant et assez rigide et j’ai enfilé un tee-shirt long. Je me suis penchée pour ramasser un objet et mon plus jeune fils, âgé 10 ans, a aperçu ma cicatrice sur ma poitrine. Ça été un choc pour lui ».
Cette blouse qui libère du carcan de la maladie
Dès lors, Véronique se met en quête de vêtements plus adaptés. Elle déniche de la lingerie et quelques produits balnéaires. Pour le reste, ses recherches sont infructueuses. Pas de tenues sympas et tendance, à l’exception d’un tee-shirt « pour traîner à la maison et qui était très bien ».
Cette pièce sera d’ailleurs sa principale source d’inspiration pour ses futures créations. Cette passionnée de design et de mode décide de prendre des cours de couture et confectionne ses premiers vêtements, dont une blouse pour se rendre au travail. Animatrice de formation, elle avait « l’impression que tout le monde voyait que j’avais un sein en moins. Mais le jour où je l’ai mise, une fois arrivée chez moi, je me suis rendu compte que je n’y avais pas pensé une seule fois de la journée. Pour moi, c’était juste génial », se souvient-elle.
Les Minettes en Goguette pour apprivoiser son nouveau corps
La visite de suivi chez son oncologue sonne comme une révélation. « Elle a vu ce que je portais. Je lui ai fait part de mes difficultés à être bien dans mon corps. Elle m’a dit « si vous avez du temps cet après-midi, vous allez discuter avec les femmes en salle d’attente ». Je me suis rendu compte que chacune bricolait quelque chose dans son coin pour pallier ses difficultés ».
C’est dans ce contexte que germe l’idée des Minettes en Goguette, pour répondre à ce besoin d’apprivoiser ce nouveau corps, à retrouver sa liberté de bouger et de vivre en toute insouciance.
Et quand le destin s’en mêle… Le groupe pour lequel elle travaille décide de supprimer son poste en 2018. L’occasion d’entamer une formation de stylisme et de profiter de l’aide à la création d’entreprise. « J’ai également rencontré des modélistes free-lance qui n’ont pas trouvé mon idée farfelue et qui m’ont accompagnée sur le côté technique ».
Une ligne confortable, pratique et féminine
Véronique met au point plusieurs prototypes, tous adaptés aux effets secondaires qu’elle a répertoriés. Des tee-shirts qui s’enfilent par les côtés, des maillots de bains et des soutiens-gorge qui se ferment par l’avant, des culottes taille haute… Après trois ans à développer ses tenues, l’entrepreneuse vient de lancer sa première collection : un tee-shirt, un ensemble de lingerie et un maillot de bain, disponibles via une campagne de crowdfunding.
Dans un style élégant et féminin, la plupart des vêtements imaginés disposent d’une brassière intégrée, sans armature, prévue pour accueillir une éventuelle prothèse. Plus confortables et pratiques, ils permettent aussi de « protéger les cicatrices pour éviter les frictions qu’on peut avoir avec un soutien-gorge classique ». Le tee-shirt est plus évasé au niveau de la taille pour masquer les kilos accumulés par l’hormonothérapie. Les emmanchures des tee-shirts sont plus larges pour s’adapter aux gonflements des bras…
« Le tissu choisi pour le tee-shirt est le modal car il a plusieurs avantages. Il est respirant, très léger et il a un toucher soyeux. Le tissu permet de protéger la peau et les cicatrices des UV, il ne les irritera pas. Il est aussi conçu pour permettre une bonne évacuation de la transpiration. Sa brassière intégrée permet de choisir si l’on veut mettre la prothèse, push-up ou rien ».
Des vêtements respectueux de la peau et de l’environnement
Les pièces sont confectionnées au sein de l’atelier d’insertion marseillais 13 en Mode, rue Fiolle. « Aujourd’hui, j’ai le statut de travailleur handicapé, je trouvais que faire appel à un atelier d’insertion, ça avait du sens ».
Côté tissu, pour le moment, Véronique se tourne vers l’Espagne et l’Italie, notamment parce qu’elle souhaitait donner à sa marque une dimension écoresponsable.
Sportive et adepte d’un mode de vie sain, bien avant le cancer, elle admet ne jamais s’être penchée sur la provenance des vêtements. « Je ne prenais pas en compte toute la chaîne en amont, alors que ça peut être très nocif ». Ses matières sont donc sourcées et Oeko-tek, qui indique l’absence de produits toxiques.
Les maillots de bain sont réalisés à partir d’un tissu issu du recyclage d’anciennes bouteilles en plastique. Les emballages sont également éco-responsables.
Un partage d’expérience pour co-créer les futures pièces
Véronique développe actuellement une robe qui sera confectionnée dans un tissu déperlant [qui permet à l’eau de glisser sans s’imprégner dans la matière], comme solution au problème de transpiration excessive et sans brassière pour ne pas perdre l’effet souhaité.
À venir aussi un tee-shirt basique avec brassière en différents coloris. L’indispensable qu’il faut avoir dans sa garde-robe. Puis une blouse à porter ceinturée ou non, et une autre pour aller travailler dotée d’une fermeture aimantée dans le dos, pour masquer toutes les cicatrices tout en les protégeant. Elle a été conçue pour faciliter l’habillement des femmes qui souffrent aussi de douleurs musculaires ou articulaires dues aux différents traitements.
Outre le fait de miser sur des tissus « made in France » pour la suite de son projet, la fondatrice des Minettes en Goguettes, souhaite pouvoir co-créer ses futures pièces avec d’autres femmes qui ont vécu le même parcours.
Un partage d’expériences pour mettre au point des vêtements répondant encore plus aux besoins. « Quand ça va bien psychologiquement, les proches ont aussi envie de passer à autre chose. Ma volonté c’est que les femmes se sentent bien dans leur peau. Ce que j’aimerais, c’est qu’à la fin de la journée elles n’aient pas dû penser à la maladie à cause de leurs vêtements ».