Du cinéma à la politique, en passant par l’éducation, la lutte contre les violences faites aux femmes, sa double culture ou encore son amitié avec le couple présidentiel… Dans « Moi la France, je la kiffe ! », la productrice marseillaise Sabrina Agresti-Roubache se livre sur sa vie à sa manière. Rencontre.

« Écrire un livre, quelle drôle d’idée ». Ce jour-là, dans son tailleur blanc, les bras chargés de livres empaquetés, Sabrina Agresti-Roubache affiche un large sourire, enthousiaste à l’idée de présenter « Moi la France, je la kiffe ! ». Un livre né d’abord « d’une rencontre », avec son éditeur Alexandre Wickham, directeur éditorial chez Albin Michel. Mais surtout « d’une envie de dire quelque chose. C’est comme pour un film, quand l’idée arrive au bon moment », confie la fondatrice des sociétés de production marseillaise Seconde Vague Productions et Gurkin Invest Films.

Des morceaux choisis pour livrer quelques tranches de vie. Se raconter, en près de 185 pages, sans pour autant « s’la raconter », car « il fallait que ça me ressemble », exprime la productrice, réputée pour son franc-parler. La liberté d’expression et de ton conditionne dès lors ce projet dont elle ne souffle mot.

Exercice de style

À peine élue à la Région Sud, en juillet 2021, conseillère spéciale en charge de la lutte contre le harcèlement scolaire et contre les violences faites aux femmes, l’entrepreneuse « fait ce qu’il faut pour que les projets continuent à avancer », puis s’isole. « Une parenthèse » dans une vie à 100 à l’heure. Elle aborde l’écriture comme un véritable exercice de style. Ni emprunté. Ni copié. Le sien. « Je n’écris pas comme je parle, mais je décris comme je parle », poursuit-elle, dans un éclat de rire.

Stylo à la main, loin de son ordinateur et des notes de prod, elle couche sur le papier ses premières idées, les anecdotes qui l’ont marquée… des phrases qui donnent parfois lieu à des relectures illisibles et situations cocasses. « Mais qu’est-ce que j’ai écrit ? Ou qu’est-ce que j’ai voulu dire ? C’était drôle », se souvient-elle.

Guidée par un furieux désir de tout dire, il était nécessaire, dit-elle, d’arriver à « structurer sa pensée pour la rendre lisible ». Aller à l’essentiel. Plusieurs personnes canalisent ce trop-plein, au premier rang desquels son éditeur. Puis son ami et compagnon de tournage, Jean-Christophe Gaudry, ainsi que l’écrivain et scénariste Dan Franck.

Ces échanges portent principalement sur le fond. Une relation constructive, « pas comme un auteur qui parle à son Padawan », provoquant parfois de vives discussions. « Il me challenge. Je ne voulais pas policer ce que je pensais, que ma pensée soit pervertie ». Comme lorsqu’elle consacre un chapitre au Rassemblement national, ou lorsqu’elle exprime son opinion sur la Gauche dont « la pensée a été trahie à mon sens ». C’est du 100 % Agresti-Roubache.

, Sabrina Agresti-Roubache : « Plus je fais de la politique, plus j’ai envie de faire des films », Made in Marseille

« Maintenant, je peux vivre mon histoire d’amour politique de façon très libre »

Son mari, Jean-Philippe, a lui aussi été d’une aide précieuse « pour éviter toutes les digressions », sans oublier qu’il est son « plus grand fan ». Ces deux-là entretiennent une relation fusionnelle depuis leur coup de foudre à la Chambre de commerce et d’industrie il y a un peu plus de 5 ans.

L’ancien doyen d’Aix-Marseille Université occupe depuis quelques semaines les fonctions de recteur de l’académie de Corse. « Un poste formidable », estime son épouse, même si de cette situation « elle en pleurerait tous les jours, lâche-t-elle. Mais comme on travaille beaucoup tous les deux, les semaines passent vite, et on arrive à organiser nos agendas ». Jean-Phi’ et Sabrina s’appellent en « moyenne une cinquantaine de fois par jour, au téléphone, en visio… ».

, Sabrina Agresti-Roubache : « Plus je fais de la politique, plus j’ai envie de faire des films », Made in Marseille

Et sur les dizaines d’appels et de sms que la productrice reçoit lors de notre interview, elle décroche quand son « amour » tente de la joindre. Forcément. Juste quelques secondes suffisent. Comme un shoot d’amour. « Ce n’est pas une nouvelle manière de s’aimer, mais d’adapter l’amour », dit-elle les yeux qui pétillent.

Et c’est bien parce qu’elle vivait cette histoire pleine et entière avec celui qui deviendra son mari, que Sabrina Agresti-Roubache repousse son engagement politique, au sens politicien du terme. « C’était compliqué d’avoir deux passions en même temps. Aujourd’hui, nous sommes installés, posés, notre couple s’est construit… Maintenant, je peux vivre mon histoire d’amour politique de façon très libre ».

Coup de cœur à la marseillaise

Elle n’est pourtant pas une inconnue dans l’écosystème politique local. Propulsée sur le devant de la scène grâce à la série Marseille qu’elle produit, diffusée sur Netflix, elle est médiatisée grâce aux liens d’amitié qu’elle entretient avec le couple présidentiel. Celle dont on dit souvent qu’elle est « l’oreille des Macron à Marseille », s’en amuse, sans en jouer. Reste que Brigitte « c’est sa copine ».

Elle a toute sa place dans le livre. « Je ne l’avais jamais vu de ma vie. Lors de notre première rencontre au cours d’un dîner [en 2016], on parle de tout sauf de politique. D’éducation, de cinéma, de Marseille… mais pas de la campagne [présidentielle] ». Un vrai coup de cœur entre les deux femmes pour lesquelles l’éducation occupe une place centrale.

Puis il y a le jeune Emmanuel Macron. C’est lui qui lui donne le goût de passer le cap.  Pour la première fois, « je me mets à soutenir un candidat en m’affichant clairement », sans pour autant adhérer à La République en marche. « Je tiens à ma liberté ».

Lorsqu’elle ouvre le meeting d’Emmanuel Macron à sa demande, Porte de Versailles à Paris, devant 15 000 personnes, il est à 7 % des intentions de vote. Sabrina sort de l’ombre. « Salut, j’arrive de Marseille », lance-t-elle, acclamée par la foule. « C’est comme ça que je découvre la Présidentielle vue de l’intérieur. Je me rends compte que je ne sais pas ce que ça va donner, mais aussi que si ce n’était pas ce coup-ci, ce serait celui d’après. C’était vraiment une période à part ».

Comme ce soir-là à La Rotonde, à 15 jours du second tour, lorsqu’elle dîne aux côtés de Françoise, la mère du candidat Macron. « Elle me dit que mon mari est vachement jeune pour être doyen et je lui réponds, « mais votre fils va devenir président de la République ». Et nous avons éclaté de rire, nous ne réalisions pas. On ne vit pas ces moments 15 fois dans une vie ».

Une histoire de famille

Si tous ces instants ont pleinement leur place dans ses premiers écrits, « Moi la France, je la kiffe ! », c’est avant tout une histoire de famille, de femmes. Celle d’une grand-mère, d’une mère, de sœurs… rythmée par des thèmes chers à la jeune auteure. Derrière ce côté fougueux, Sabrina Agresti-Roubache est une femme d’une grande pudeur à bien des égards. Par exemple, lorsqu’il s’agit de religion.

Elle qui a grandi dans une famille laïque le dit sans ambages : « Il faut que, les musulmans, nous nous posions la question des conversions express… L’Islam ne peut pas devenir le réceptacle de toutes les folies, alors que c’est spirituel. La religion, c’est à la maison. C’est une pratique privée ».

La Salonnaise, qui a vécu dans les quartiers Nord, et qui parle provençal, comme sa mère, évoque « sans aucun conflit de loyauté » sa double culture. Le chapitre intitulé « Noël ou l’Aïd ? » va droit au but. Entre les deux, pourquoi choisir ? Surtout lorsque les « reines de Noël » sont à l’œuvre. « Quand j’étais petite, ma mère nous organisait les plus beaux Noëls de Félix Pyat et tout le monde venait chez nous ».

La bouillabaisse, le couscous et les petits pois carottes

Elle, n’a jamais mis les pieds en Algérie, et passait plutôt ses vacances à Saint-Chamas, Saint-Canat, la Fare-les-Oliviers et dans les champs de lavande : « J’explique le décalage entre mes copains de Félix Pyat qui partaient au bled avec le fantasme qu’un jour ils repartiront, mais ils sont Français. Il n’y a pas de dualité à avoir, tu as un pays d’origine, mais ton pays c’est la France ».

En évoluant dans le monde socio-économique, au gré des invitations à dîner, les hôtes « pensent te faire plaisir en te préparant un couscous, mais je ne mange que celui de ma mère, avoue-t-elle, en souriant. Mais ça part toujours d’un bon sentiment. Je ne mange pas de porc, mais je ne le dis jamais. Je n’ai jamais voulu que ce soit un problème, ce n’est pas un sujet, c’est comme ne pas aimer les aubergines, les betteraves, être végétarien… ».

Si entre la bouillabaisse et le couscous, elle a tranché, en réalité, ce qu’elle préfère ce sont les petits pois carottes. Ce plat qu’elle préparait à sa fille, le soleil de sa vie et sa plus fidèle relectrice. « C’était un bon exercice de correction des fautes d’orthographe, des coquilles… » souligne-t-elle. Sauf qu’à 12 ans, « ma fille elle aime Mélenchon parce qu’il est sur Tik Tok », confie-t-elle dans un éclat de rire, elle, si loin du « je tweete donc je suis » et de l’affichage. « Toutes les personnes qui me connaissent savent que je fais les choses à fond, dit-elle, sans avoir besoin de dire ce que je fais ».

La responsabilité du mandat politique

Sa délégation au sein de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ne fait pas exception. La lutte contre le harcèlement scolaire et contre les violences faites aux femmes ont été décrétées deux causes régionales, pour lesquelles « j’ai une grande sensibilité. Ce n’est pas pareil de mener une politique en la matière. tu as non seulement une responsabilité, mais aussi les moyens d’agir pour impulser des actions. Il faut pour moi revenir aux origines du mal. Qu’est-ce qui empêche les femmes de partir ? Le manque de moyens. Et la pire crainte, c’est d’être séparé de ses enfants. Ce qui peut rendre une femme la plus autonome possible, c’est selon moi, la formation, l’éducation », insiste-t-elle, en évoquant également la Maison des femmes, qui a récemment ouvert ses portes à Marseille. L’école et l’éducation, le socle d’une vie.

Sur tous ces sujets, elle aimerait davantage d’implication de la part des hommes, et travaille en étroite collaboration avec Elisabeth Moreno, ministre en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes.

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8-Mars : sa « Lettre à toutes les petites filles »

À l’occasion du 8 mars 2021, la ministre demande à mille femmes (scientifiques, musiciennes, sportives, entrepreneuses…) d’écrire une lettre aux mille petites filles qui vont naître ce jour-là. « Te voici donc arrivée parmi nous. Tu verras, la vie est une aventure incroyable. Être fille n’est pas la chose la plus aisée, je préfère te prévenir, mais tu es née dans un pays formidable. Tant de choses ont été gagnées par tes aînées… » Ainsi débute sa « Lettre à toutes les petites filles » (y compris la mienne) qui introduit le chapitre 23.

Une nécessité de l’y faire figurer pour démontrer que les femmes sont au « rendez-vous de l’Histoire ». Et monter que derrière cette manière très urbaine et très personnelle de dire « Moi la France, je la kiffe ! », c’est aussi ouvrir les yeux sur le fait « que nous vivons dans un pays où tout est possible. Je travaille avec des journalistes, en Iran, en Irak… ils rêveraient de venir chez nous. Tout n’est pas parfait, mais il faut se rendre compte de la chance que l’on a. C’est ça que je décris ». Un discours qui résonne plus encore à l’heure de la guerre en Ukraine.

Nombreuses sont les jeunes filles qui ont lu son livre, et lui ont écrit pour lui dire qu’elle se faisait leur porte-voix ou qu’elle était une source d’inspiration. Un accueil qu’elle n’attendait pas et qui l’émeut profondément lorsqu’elle l’évoque avec nous, les yeux un peu embués. L’émotion mêlée à un sentiment de fierté également.

De Félix-Pyat à l’Elysée ?

Sur la jaquette qui entoure le livre, on peut lire « Des quartiers Nord (Marseille) au palais de l’Élysée (Paris) ». La prochaine étape ? Cela ne manque pas de faire sourire la coordinatrice pour les Bouches-du-Rhône de la campagne pour la ré-élection d’Emmanuel Macron. « Un vrai politique dirait : « si on a besoin de moi je suis là ». Impossible pour moi de dire un truc comme ça, c’est trop orgueilleux. Ni dire : « non jamais », le vrai truc de mytho », dit-elle du tac-o-tac toujours avec humour. Plus sérieusement : « La question se pose de manière personnelle, pas du tout sur le plan politique. Qu’est-ce que moi j’ai envie de faire ou pas, et pour ma famille d’abord ».

Et même s’il y a « des postes qui ne se refusent pas », une chose est sûre, « plus je fais de la politique et plus j’ai envie de faire des films. Quand je fais un film, je le fais pour raconter une histoire, divertir, informer, donner un point de vue, la politique c’est autre chose… Je veux continuer à faire des films pour dire ce que j’ai envie de dire ». En un mot, continuer à « kiffer ».

Photo de Une © Samuel Kirszenbaum
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