Depuis deux ans à Marseille, La Cravate Solidaire prépare les candidats éloignés de l’emploi aux codes de l’entreprise. Pour résorber les discriminations à l’embauche, l’association sensibilise aussi directement les employeurs.

Les échafaudages camouflent les locaux de la rue Bernard du Bois (1er), à deux pas de la gare Saint-Charles. Seule une feuille A4, scotchée sur les fenêtres fumées, indique « La Cravate Solidaire ». Il faut sonner pour entrer. Une jeune bénévole ouvre, vêtue d’une cravate rentrée dans son pull : « Vous prendrez du sucre dans votre café ? ».

La pause caféine est le premier passage obligé pour les candidats. Chacun doit prendre le temps de s’assoir, expliquer son projet et discuter avec son voisin. Des canapés, installés autour d’une table recouverte de sucreries, créent un cocon propice à la détente.

En voyant Samia et Sabine rire, il est difficile de croire qu’elles ne se connaissent pas. Pourtant, ici, France Travail (ex Pôle Emploi), la mission locale ou d’autres entreprises d’insertion orientent des candidats de toute la région qui vont ensuite suivre un parcours en quatre étapes, bien ficelé par l’association.

Trouver chaussure à son pied

D’abord, il faut passer au vestiaire. Ici, Vanessa, conseillère en images, prend le temps de questionner les participants sur leurs envies et leurs goûts : « Le but n’est pas de les transformer en clown. On doit trouver un vêtement qui corresponde à sa personnalité. Mais, parfois, je choisis des tenues décalées pour les faire sortir des sentiers battus. Tout à l’heure par exemple, j’ai fait essayer une veste pied-de-poule verte à une femme très classique. Je l’ai vue se redresser devant le miroir. C’était hyper touchant ».

Le vestiaire est bien ordonné : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Plusieurs grands miroirs sont disposés aux quatre coins de la pièce avec deux cabines pour préserver l’intimité. Un portant avec des bijoux, des rouges à lèvres et des parfums se tient en face de l’armoire remplie de chaussures.

Malgré un large choix de modèles, Valérie peine à trouver son bonheur. « Tu es sûre que tu chausses du 37 ? », lui demande Sylvie, une bénévole, en lui enfilant des ballerines grises. Finalement, elle optera pour des petits talons noirs taille 36. « Il y a beaucoup de sujets sur les tailles car ils se jugent différemment de la réalité », souligne Vanessa.

Les pièces proviennent des dons de professionnels ou de particuliers. Elles sont triées sur le volet pour correspondre aux standards du monde du travail : des vêtements propres, pas froissés et bien taillés. Mais « les dons reflètent notre société très normalisée », relève Mathieu Delot, le directeur, pointant le manque de grandes tailles sur les portants.

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Une bénévole aide une candidate à trouver des boucles d’oreilles.

Donner les codes de l’entretien professionnel

Après avoir trouvé sa tenue, le candidat l’enfile avant de passer un entretien avec deux RH bénévoles. Cet échange doit leur (re)donner les codes d’un entretien professionnel, afin qu’ils repartent confiants et armés devant leurs futurs employeurs.

Les recruteuses préconisent des discours à adapter pour justifier certains « trous » dans le CV. « On vient de recevoir un jeune super chouette. Son CV est nickel. Mais, il nous a directement balancé ‘Je suis sorti de prison il y a 15 jours’ », raconte Marie. « Aujourd’hui, la réalité c’est que ça bloque les employeurs, renchérit sa collègue. On apprend aux candidats à poser leurs limites, car ils ont le droit de ne pas tout dire ».

Cette préparation cruciale permet aussi de se prémunir du stress ou d’être réorienté vers d’autres structures si besoin. « Une femme s’est effondrée tout à l’heure devant nous, et elle n’a pas pu poursuivre. On a compris que c’était encore trop tôt et qu’il fallait d’abord qu’elle se fasse aider », confie le directeur.

700 candidats accompagnés en deux ans

Le but est avant tout de leur redonner confiance en eux et en leur parcours, qui s’est étiolé au fil du temps. D’où la dernière étape : le shooting photo. Avec son appareil, Flora réalise plusieurs portraits : un pour le CV, un pour leur frigo, et un autre pour accrocher sur le mur de tous les candidats passés par La Cravate Solidaire.

« 65% des personnes qui passent chez nous trouvent un emploi ou une formation dans les trois mois », assure Mathieu Delot, en balayant le tableau du regard.

Depuis début 2024, les locaux ont vu passer 60 personnes par mois les mardis et jeudis après-midi. « Soit 700 en deux ans », se félicite le directeur, qui est descendu de son nord natal pour cofonder l’antenne marseillaise en 2022, convaincu par la puissance du modèle.

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Une candidate prise en photo. © La Cravate Solidaire

Sensibiliser les entreprises aux discriminations

Derrière les parapluies du studio photo, une grande fresque des discriminions trône. C’est l’association nationale, née à Paris il y a 10 ans d’un projet étudiant, qui a développé ce concept pour sensibiliser les collaborateurs aux 26 discriminations reconnues par l’article 225-1 du Code Pénal.

Mathieu Delot se déplace dans les entreprises pour former à cette fresque, conçue sur le même schéma que celle du climat. « Une entreprise qui est plus ouverte sur la diversité au sein de ses équipes va avoir des meilleurs indicateurs de croissance, moins de turn-over… plus de CV quand elle recrute », assure ce dernier.

Ce sont ces mêmes entreprises qu’il sollicite pour développer le mécénat de compétence et attirer la taxe d’apprentissage, un impôt obligatoire à verser aux structures de formation et d’insertion. Parmi les grands partenaires locaux, on peut noter la direction régionale de SFR, Schneider Electric, ou Pernod Ricard France qui permettent, entre autres, de financer le coût d’un candidat estimé à 350 euros.

À la fin de son atelier, chacun est tenu d’attendre les autres participants dans la salle commune, pour débriefer et passer un dernier moment ensemble. « Je me suis sentie valorisée. Pas vraiment rassurée, car on ne l’est jamais vraiment. Mais soutenue », murmure Sabine en réajustant sa nouvelle veste de tailleur verte. Dans quelques semaines, elle la portera au cours d’un « vrai » entretien pour un poste d’agent d’accueil.

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Mathieu Delot, directeur de l’antenne marseillaise de la cravate solidaire.

La cravate solidaire
Ateliers les mardis et jeudis après-midi
57 Rue Bernard du Bois
13001 Marseille

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