À quatre mois du scrutin de mars 2020, les débats autour du rapport de la Chambre régionale des comptes ont été l’occasion pour (presque) tous les candidats, en direct ou par procuration, et leurs soutiens, de s’offrir une tribune électorale. Deuxième partie : les élus font (bons) les comptes #2

« Eh ! Vous êtes toujours dans la majorité Gaudin ? » interpelle un manifestant avec sa pancarte à l’inscription « Jean-Claude Dingo », devant l’espace Bargemon, où le dernier conseil municipal de l’année s’apprête à s’ouvrir. Il y a erreur sur la personne, et la socialiste Marie-Arlette Carlotti s’empresse de la rectifier avec verve. « Je suis une femme de gauche et j’ai toujours été une femme de gauche et je ne suis pas dans la majorité ».

Les élus qui en font partie, quant à eux, arrivent sous les huées de citoyens engagés, venus participer au rassemblement, « contre le conseil municipal de la honte », organisé par le Printemps Marseillais. Même traitement pour Stéphane Ravier, élu d’opposition du Rassemblement national, et candidat à la Mairie de Marseille. Lui, profite de cet accueil chahuté avec le sourire. Savoure même, lançant des baisers à son assistance. Tandis que le communiste, Jean-Marc Coppola est acclamé : « Coppola, Coppola !… »

Un spectacle amusant pour ces jeunes venus assister à la séance municipale, pour la première fois, évoquant entre eux la série « Marseille ». Ils sont enthousiastes à l’idée de pénétrer dans l’hémicycle. Loin de la fiction de Netflix, c’est une autre série, sans grands rebondissements, qui s’est jouée dans cette enceinte marseillaise.

Plaidoirie et réquisitoire

Plus de quatre heures de règlements de comptes, autour justement du fameux rapport de la Chambre régionale des comptes, qui au fil des 600 pages, étrille la gestion de la deuxième ville de France, sur la période 2012-2017. À quatre mois du scrutin de mars 2020, cet avant-dernier conseil du mandat de Jean-Claude Gaudin s’est imposé comme le parfait écrin pour les candidats en campagne.

Yves Moraine avait prévenu. Le maire a mené « l’offensive » pour dénoncer le rapport d’observations, dont les magistrats se sont livrés, selon lui à « un exercice caricatural tendant à discréditer 25 ans de travail de ma municipalité (…) »

Une longue plaidoirie face à un « réquisitoire pour stigmatiser, un réquisitoire pour condamner. Il n’est pas imaginable bien sûr de suspecter une quelconque intention politique dans ces rapports, à la veille des prochaines échéances électorales, et je n’ai aucune intention de l’imaginer, mais il est bien évident qu’une exploitation très politicienne en a été et en sera encore faite, ce qui aurait dû conduire la Chambre à être d’autant plus prudente dans ses écrits » a poursuivi le maire.

Au-delà de données techniques pour dénoncer les observations jugées erronées de la Chambre, les échanges ont donc, sans surprise, pris une dimension plus politiques.

« Une simple marseillaise, pas une héritière »

Une opportunité que n’a pas laissé échapper la présidente du Département et de la Métropole Aix-Marseille Provence, Martine Vassal, bien que ce ne soit pas en cette qualité qu’elle a souhaité s’exprimer. Ni même en tant que candidate à la mairie de Marseille, encore moins « comme une héritière », mais comme « une simple marseillaise. Librement ».

À deux jours de la décision de la commission nationale d’investiture LR, Martine Vassal a ainsi rendu hommage au maire de Marseille, saluant son choix de ne pas avoir éludé le débat, prenant fait et cause contre ceux qui ont choisi « d’organiser un procès politique », en se saisissant du rapport ; et appelant à des échanges constructifs et respectueux, sur le champ technique et financier. « Je sais mon cher Jean-Claude que vous avez été meurtri par le drame de la rue d’Aubagne, pour autant devons-nous faire abstraction de tout ce qui a été fait ? En 1995, la ville de Marseille était dans une situation catastrophique, économiquement sinistrée, dans une crise démographique importante… Marseille était devenue tout sauf attractive. Marseille, la malheureuse, Marseille la mal-aimée ».

« S’ils me considèrent comme une héritière. Laissez-moi les considérer comme des innocents aux mains sales ».

Martine Vassal

Et d’expliquer comment la cité phocéenne a pu se relever. « La Ville avant 2015 n’a que très rarement reçu le concours du Département (…) mise au pain sec et à l’eau sous la gauche. Ceux qui osent vous juger, sont ceux qui sont complices » de cette diète. « S’ils me considèrent comme une héritière. Laissez-moi les considérer comme des innocents aux mains sales ».

Une déclaration qui résonne comme une manière « d’assumer le bilan de la mandature Gaudin », pour Marie-Arlette Carlotti. « Il est donc désormais le sien », à savoir, celui où la gestion est « peu économe des deniers publics », où pleuvent « des cadeaux aux promoteurs ». Un discours comme un cri de colère face à des élus de la majorité « irrespectueux, inconsistants, sourds » à ses interventions toutes ces années.

Péché, rédemption et confessions

Sur la même ligne, Benoît Payan a également soulevé cet état de fait : « Vous avez balayé toutes les remarques, refusé toutes les propositions, fermé les yeux sur tous les scandales, tout simplement parce que je n’étais pas du même bord politique que vous. Vous qui prétendez que la politique n’est pas tout, vous avez vu de la politique partout. Écrasé de certitudes, vous avez cru, à chaque rapport, à chaque intervention, que je faisais cela pour m’opposer », a déclaré l’élu socialiste, qui œuvre au grand rassemblement au sein du Printemps Marseillais. « Vous avez voulu m’enfermer, comme vous l’avez toujours fait, avec vos opposants comme avec vos propres amis, dans une réalité électorale et des schémas politiciens éculés (…) Mes interventions, mes alertes, je les ai faites parce que j’aime ma ville et comme des centaines de milliers de Marseillais, je souffre de la voir s’abîmer. »

« Vous avez balayé toutes les remarques, refusé toutes les propositions, fermé les yeux sur tous les scandales, tout simplement parce que je n’étais pas du même bord politique que vous.» 

Benoît Payan

Et faisant sienne cette citation de Francesco Rosi dans “Main basse sur la ville”. « Ici, l’exigence morale n’existe pas. Le seul péché, c’est d’être battu aux élections ».

Le péché comme une offense. Patrick Mennucci (PS) a surfé sur le registre du catholicisme, incitant le maire à faire « une bonne confession », lors du prochain conseil municipal. « On dit qu’après le jugement d’une cour, le condamné peut maudire ses juges, c’est peut-être l’occasion ce matin de commencer votre rédemption… »

Lui qui déclare toujours s’être prémuni d’avoir éviter des rencontres en tête à tête avec le « serpent Kaa », n’a pas été tendre avec Jean-Claude Gaudin, « bien mauvais maire de Marseille », ne lui pardonnant pas de ne pas avoir renvoyé un collaborateur, après des propos brutaux, à l’encontre de son épouse : « Vous m’avez menti en 2014, après que j’ai perdu les élections municipales. J’attendais un geste, alors que mon épouse était à l’IPC et j’apprends dans le rapport de la CRC que ce collaborateur est toujours là. Je suis toujours meurtri de cela, comme ça quand vous serez avec vous-même vous pourrez y penser. »

Quant à Martine Vassal, dont la photo dans Libé, à l’heure de l’anniversaire du drame de la rue d’Aubagne, lui évoque un chapitre d’Harry Potter, elle n’est pas épargnée. Une fois encore, il juge sa mise en cause dans cette interview « abjecte ». Et va plus loin : « Cela relève d’une personnalité inquiétante. Moi, je ne vous ai jamais mis en cause. Vous avez la responsabilité d’assumer le bilan, c’est votre politique, celle que vous avez mené, qui a conduit à la situation dramatique que nous connaissons ».

« Dura lex, sed lex »

Même constat pour Stéphane Ravier qui a, comme à son habitude, usé de formules chocs pour dénoncer « une politique reposant sur le mensonge, des méfaits étalés sur la place publique grâce au travail de fond des magistrats (…) Un rapport au vitriol ? Non ! Un rapport de vérité. Ce travail fouillé met en exergue deux caractéristiques : incompétence et insincérité ».

« Les deux enfants du gaudinisme », rivaux pour l’investiture, n’ont pas échappé à ses attaques : « Vous êtes tout aussi responsables que votre leader, et vous tentez pitoyablement de vous en éloigner. Ça vous colle à la peau comme une flétrissure », puis il s’amuse à évoquer « l’élève studieuse », distançant dans les sondages, l’autre candidat LR.

Bruno Gilles n’a d’ailleurs pas pris la parole, stoïque, attentif aux échanges, laissant celui qui a rejoint son équipe de campagne intervenir. S’appuyant sur la citation latine « dura lex, sed lex (la loi est dure, mais c’est la loi), Robert Assante, adjoint à l’environnement, tête de liste dans les 11e et 12e arrondissements a interrogé : « Pourquoi les gens votent pour nous si nous sommes dans l’erreur ? Qu’est-ce que c’est que ce rapport qui s’inscrit comme un bilan politique, si ce n’est que de servir l’opposition ? On ne nous reproche rien sur le plan légal, mais tout sur le plan politique, ce n’est pas acceptable ».

Le juge de paix

Reste que pour le communiste Jean-Marc Coppola, également associé à la démarche du Printemps Marseillais, ce rapport « est le coup de grâce après quatre mandats ». Il prend un « relief particulier, car il rencontre la colère des Marseillais ». Lui ne partage pas le reproche d’une absence de stratégie claire, c’est au contraire une « stratégie au service d’une politique de classe, pour servir des intérêts privés, pour aseptiser Marseille, ceux qui dérangent, trop puants, trop populaires, trop revendicatifs, et surtout trop à gauche….  Ce rapport n’est que la partie visible d’un système. »

Un rapport qui se pose « en juge de paix », pour la sénatrice Samia Ghali, regrettant aussi que la majorité, au gré des conseils, balaye systématiquement d’un revers de main les propositions de son groupe. « Sur la partie gestion, certainement nous n’avons pas été assez explicites, mais aussi, vous nous avez caché beaucoup de choses ».

Dans sa liste des dysfonctionnements de la politique de la ville, l’élue s’est arrêtée un moment sur la question des piscines. Quelle ironie pour elle de voir la majorité compter un champion de natation, en la personne de Frédérick Bousquet, mais de ne jamais l’avoir entendu sur ce sujet. « Merci pour les médailles que vous nous avez apportées, mais ici la médaille, je ne vous la donne pas. Pas tout le monde peut aller au cercle des nageurs », que fréquentent par ailleurs Patrick Mennucci et Eugène Caselli.

La voix de la défense

Yves Moraine n’a pas manqué de faire entendre la voix de la défense. L’avocat de profession a exprimé sa déception face à l’argumentation de Benoît Payan et Stéphane Ravier « qui ont refusé de rentrer dans l’analyse des rapports, dans la technique trop compliquée (…) rabâchant les mêmes discours politiciens, remixés en mode électoral : l’avenir c’est Ravier, le renouveau c’est Payan (…) Stéphane Mari (LREM) personne ne sait où vous êtes », s’est amusé le président du groupe « Marseille en avant », devant l’œil de Saïd Ahamada, député LREM et candidat à la mairie de Marseille, venu en spectateur.

Et de développer un argumentaire de plusieurs pages visant à « étriller l’étrilleur » avant de conclure : « au moment où ce débat touche à sa fin, me revient à l’esprit un proverbe russe qui recommande de ne pas craindre la justice, mais seulement le juge. En démocratie, le juge c’est le peuple. Le peuple marseillais ne s’y est pas trompé, M. le maire, en vous renouvelant sa confiance à quatre reprises. Les Marseillais, eux, vous ont rendu justice ».

Après ce conseil où « l’enfer, c’est les autres », beaucoup espèrent un climat « plus apaisé », à l’occasion de la dernière assemblée municipale. Elle se tiendra après l’ultime cérémonie des vœux du maire vers la fin janvier. Jean-Claude Gaudin a demandé que 150 rapports seulement soient inscrits à l’ordre du jour, pour cette « der des der », avant de tirer définitivement sa révérence.

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