C’est à Marseille que siège le représentant de la Commission européenne auprès des régions de France, Alain Dumort. À quelques jours des élections européennes, made in marseille vous propose un entretien exclusif avec ce natif de la ville, pour comprendre les liens étroits entre l’Europe et la Région Sud, devenue en quelques années « ce bon élève de l’Union européenne ».

« Les représentations sont les yeux et les oreilles de la Commission et s’expriment au nom de celle-ci sur le terrain dans tous les États membres de l’Union ». C’est en ces termes presque romanesques que la Commission européenne qualifie ses « chefs de la représentation ». Ils sont deux en France. Si Isabelle Jégouzo, basée à Paris, représente l’Europe auprès de la nation (Gouvernement, Assemblée, Sénat…), c’est Alain Dumort qui la représente auprès des 19 régions françaises, depuis Marseille.

Son bureau offre une vue plongeante sur le Jardin des vestiges, les fondations antiques de la cité phocéenne, en pleine rénovation. « Tout un symbole », pour cet enfant du pays qui a travaillé sur des problématiques géopolitiques, économiques et énergétiques dans le monde entier, avant des prendre ses fonctions ici en 2016. « Un symbole des origines grecques de Marseille, de l’Europe, de la démocratie ». 

Mais si l’Europe finance de nombreux projets du territoire, « ce n’est pas de l’argent cadeau, il y a des objectifs clairs, des mesures de suivi et de contrôle », explique Alain Dumort. « Je suis les yeux de l’Europe en région, mais aussi le porte-voix des problématiques locales auprès de la commission », tempère-t-il avant de préciser son rôle : « J’identifie localement les bons projets, emblématiques, structurants, qui ont une valeur européenne et pourront être dupliqués ailleurs sur le continent. Je les accompagne et facilite leur réalisation ».

Au cœur des relations de plus en plus étroites entre les collectivités territoriales et l’Europe, Alain Dumort apporte un éclairage sur les enjeux et rapports entre la Région Sud et l’Union européenne (UE). À l’approche des élections européennes, made in marseille vous propose un grand entretien.

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Le siège de la Commission européenne à Marseille donne sur le Jardin des Vestiges

made in marseille : Quelle est la place des régions dans l’Europe ?

Alain Dumort : Il y a un mouvement d’ensemble au niveau européen, les compétences sont de plus en plus territoriales. La France est finalement un cas à part, avec une tradition fortement centralisée. Mais des lois de décentralisation successives ont accentué l’importance économique, puis politique, des régions.

Il faut savoir qu’une fois le budget de l’Europe partagé entre les nations, il est rétrocédé aux États qui sont libres de l’organiser comme ils le veulent. Depuis 2014, début du cycle budgétaire actuel de l’Union européenne (il se clôture en 2020, NDLR), l’Europe et la France ont décidé d’attribuer aux 19 régions françaises le pouvoir d’autorité de gestion des fonds. Auparavant, ils étaient gérés territorialement par les services de l’État. 

Un véritable défi car il a fallu s’organiser, se structurer, et créer une relation de confiance entre les collectivités et l’État. Pour des États fédéraux comme comme l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, c’est quelque chose de normal. 

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Alain Dumort au bureau de la Commission européenne à Marseille

Et quelle est la place de la Région Sud, Provence-Alpes-Côte d’Azur au sein de l’Europe ?  

Au vu de sa superficie et de sa population, la Région est plus importante que certains pays d’Europe. La population de Malte représente représente la moitié de celle de Marseille. C’est une puissance économique, et pas uniquement sur le plan touristique.

Au cœur d’un brassage historique important, entre sa frontière italienne et sa position en Méditerranée, elle est emblématique sur ce que peut devenir l’Europe dans ses relations de voisinage, avec Gênes, Barcelone, la Corse, l’Algérie… Elle a compris sa puissance et son rayonnement potentiel dans l’UE. Une position clé que la Région a su mettre à profit ces dernières années.

L’Europe a aidé à installer une logique de coopération entre les régions sur les questions frontalières. En France, elles organisent chaque mois des réunions entre elles avec des ambassadeurs pour faire le point. La Région Sud est un moteur de cette coopération.C’est impressionnant comme elle s’est structurée, notamment en se rapprochant des centres de décision à Bruxelles, avec un bureau qui travaille très bien là-bas. 

C’est un bon élève de l’Europe ? 

C’est une région qui et devenue exemplaire. « Un bon élève de l’Europe » mais qui peut mieux faire car l’excellence n’existe nulle part. Le territoire est ouvert aux quatre vents et peut difficilement s’en sortir tout seul sur des sujets comme la pollution du transport maritime, de la mer, de l’air. Il y a des consensus difficiles à trouver, dans une logique de « petits pas », pour arriver à une solution commune. C’est valable aussi sur des questions comme le glyphosate par exemple, ou l’étiquetage et la transparence, si tout le monde ne s’aligne pas c’est pénalisant pour la Région. 

Ce n’est pas étonnant que Renaud Muselier, président de la Région Sud, Provence-Alpes-Côte d’Azur et député européen, soit passé d’eurosceptique à europhile. Depuis quelques années, il y a une prise de conscience des décideurs locaux. La solution ne peut être que commune, tout en respectant les souverainetés régionales et nationales.

La Région Sud est devenue bon élève en France également. La chance, c’est que sa structure n’a pas changé, contrairement aux régions qui ont fusionné. Elles ont dû se restructurer alors qu’ici, le territoire a su bénéficier de cette stabilité pour construire quelque chose de plus solide en étant résolument tourné vers l’Europe et l’international avec l’Arménie ou la Chine. 

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Renaud Muselier, président de la Région Sud et député européen et Alain Dumont, le représentant permanent de la Commission européenne à Marseille. Photo Jean-Pierre Garufi.

La ville de Marseille a également un rôle important en Europe ? 

Elle a beaucoup changé ces dix dernières années. Au cœur de beaucoup connexions humaines et commerciales, Marseille avait du mal à sortir son épingle du jeu en Europe par rapport à Gênes ou Barcelone. Notamment à cause de sous-investissements dans les structures portuaires, inappropriées aux navires modernes, à l’accueil de grands croisiéristes, avec un manque connexions port-rail. Il y a également eu une longue période de conflits sociaux qui a impacté l’économie maritime.

L’Europe a permis à Marseille de mieux se connecter au grands réseaux transnationaux, l’axe Barcelone-Gênes, et l’axe Barcelone-Berlin. Et il fallait être vigilant à ce que cette manne profite à la Région, qu’elle ne soit pas seulement en transit. Via des fonds, mais aussi des politiques avisées en travaillant sur la qualité de l’eau et de l’air par exemple, elle s’est mise aux normes européennes, ça a permis de ré-hausser le niveau.

La Région a également su tirer partie de l’UE financièrement ?

Elle est sur le podium des régions françaises dans sa capacité d’absorption des fonds européens. Elle a récolté 3,3 milliards d’euros sur le cycle budgétaire européen 2014-2020, et il n’est pas encore clôturé. Ce n’est pas rien lorsqu’on sait que le budget de la Région Sud en 2018 est de 2,5 milliards d’euros. 

Comment est distribué l’argent européen à la Région ? 

Il y a une part fixe des fonds européens, les « fonds structurels et d’investissement », qui est déterminée par l’Europe pour chaque région. Ils concernent notamment le développement régional, rural, social, maritime. La Région Sud a touché 1 013 milliards d’euros, ce qui est peu comparé à d’autres territoires. C’est une bonne nouvelle car ça veut dire qu’elle n’en a pas forcément besoin, qu’elle va bien. La Région touche également 693 millions d’euros de la Politique Agricole Commune (PAC).

Mais il y a aussi une part variable des fonds européens, ce qu’on appelle les « fonds centralisés », que la Région doit aller chercher elle-même. Elle est très forte pour cela et a récolté 675 millions d’euros sur différents programmes. Il faut des structures administratives compétentes, identifier les bons projets sur le territoire, des volontaires, les bons interlocuteurs à Bruxelles. La culture, l’environnement, la compétitivité des petites entreprises, la mobilité, l’éducation, la formation, les connexions, de nombreux projets du territoire ont été financés grâce à ces programmes européens.

Par exemple, sur le programme Horizon 2020, fonds européen dédié à la recherche et l’innovation, la Région s’est très bien organisée pour aller chercher en tout 275 millions d’euros. Un représentant d’Aix-Marseille (AMU) siège en permanence à Bruxelles dans les locaux de la Région. Il permet au territoire de se positionner tôt et de manière pertinente sur les appels à proposition, et tisse un réseaux de partenaires européens.

Grâce à tous ces fonds, la situation financière de la Région lui permet ensuite de contracter des prêts très intéressants auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI).


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Pourtant, en France, on donne plus d’argent à l’Europe que ce qu’on en touche ? 

La France est « contributrice nette au budget » de l’Europe, ce qui signifie qu’elle paie plus qu’elle ne reçoit. C’est un pays riche de l’UE qui applique un principe de solidarité. Mais, elle est globalement grande gagnante avec le marché unique et un certain nombre de nouvelles normes qui lui permettent d’exporter beaucoup plus.

C’est le cas aussi pour la Région, défavorisée sur la distribution des fonds structurels. Mais elle est capable de chercher de nouveaux fonds, et avec sa position géographique dans l’Union européenne, elle a développé de manière considérable ses capacités d’exportations. Sans marché unique, ce serait très compliqué. Il n’y a pas de droits de douane et elle bénéficie de facilités de mobilité. On parle beaucoup des travailleurs détachés, mais la région en envoie énormément aussi en Espagne et en Italie, et principalement dans des qualifications supérieures.

Quel est votre sentiment à l’approche des élections européennes ? 

J’espère que les électeurs français vont se déplacer en nombre pour voter. Il y a un taux de participation très faible en France, 42 % aux dernières européennes, ce qui est paradoxal pour des élections qui ont des conséquences locales importantes, comme on vient de le voir.

C’est un scrutin à un seul tour et à la proportionnelle, ce qui est peu habituel pour un électeur français. Et il doit faire le tri entre 34 listes, je comprends qu’il s’y perde.

À cinq jours des élections européennes, les enjeux nationaux sont encore très présents et prennent encore beaucoup de place dans les débats. Il faut rappeler le rôle du Parlement européen qui n’est pas perçu comme il le devrait. Il co-décide avec le conseil des ministres à la politique de l’UE. Il y a un manque de communication là-dessus.

On espère que les électeurs se mobiliseront et placeront l’Europe à son vrai niveau : une importance majeure et croissante dans la vie de chacun. Après, le peuple est souverain.

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Une affiche dans les bureaux de la Commission européenne à Marseille. Dessin : Vadot

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