Lundi 5 novembre à 9h05, les numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne s’effondraient emportant avec eux huit personnes. Depuis, plus d’un millier de Marseillais ont été évacués de leurs domiciles. Face à l’ampleur de la situation, Marseille s’interroge sur son avenir, sur les responsabilités des uns et des autres et sur l’issue politique de la situation.

Ces derniers jours, de plus en plus de Marseillais et d’élus d’opposition à la majorité municipale ont exprimé leur souhait – sur internet ou dans la rue – de voir Jean-Claude Gaudin, maire (LR) de Marseille depuis 23 ans, déposer sa démission. Certains ont même évoqué l’idée d’une mise sous tutelle. Et si pour l’instant l’enquête est toujours en cours et l’heure n’est pas au bilan, le principal intéressé conteste fermement cette idée. Après la démission ou la révocation de trois élus locaux, proches de l’affaire la semaine dernière, nous avons tendu notre micro à un expert politique, Yves Luchaire, professeur de droit public à Sciences-Po Aix, spécialisé dans les questions du droit des collectivités territoriales, afin de tenter un décryptage de l’actualité. Reportage.

Effondrements rue d’Aubagne, un drame marqué au fer rouge

Certains drames marquent au fer rouge l’histoire d’un quartier, d’une ville. Celui de la rue d’Aubagne en fait indubitablement partie. Lundi 5 novembre, les numéros 63 et 65 s’effondraient, fragilisés par des années de négligence et d’absence d’entretien. Très vite, on apprend que le 65 était occupé par huit personnes. Commence alors un décompte mortifère qui ne s’achèvera que le vendredi avec la découverte du huitième corps. Entre-temps, le 67 de la rue est déconstruit par mesure de précaution. La question du logement insalubre – qui n’est pas nouvelle – éclate au grand jour. Une vidéo glaçante publiée sur YouTube montre l’intérieur du n°65 quelques minutes avant l’effondrement. Les fissures et les craquements résonnent a posteriori comme l’annonce du drame.

Après le choc, le temps des explications arrive. Jean-Claude Gaudin convoque la presse le 8 novembre à l’Hôtel de Ville de Marseille. Entouré des maires de secteurs concernés (Sabine Bernasconi et Yves Moraine) et des élus compétents en matière de lutte contre l’habitat indigne (Arlette Fructus notamment), le premier magistrat de la commune expose ses arguments. Il fustige notamment la lenteur des procédures administratives. Dix années auraient en effet été nécessaires pour mettre la main sur le 63 de la rue d’Aubagne qui était en état de péril. Lorsque Benoit Gilles, journaliste chez Marsactu, demande s’il envisage de démissionner, le Maire ne sourcille pas  : « Vous croyez que le capitaine démissionne quand il y a une tempête ? ».

Le capitaine aurait-il pu éviter cette tempête ? C’est à l’enquête de le préciser.

Dès 2015, le rapport Nicol avait pointé le caractère dégradé de l’habitat marseillais. Avec 13% de logements indignes, ce sont environ 100 000 Marseillais qui vivent dans des conditions potentiellement dangereuses pour la santé ou la sécurité. Pour ce qui est de la rue d’Aubagne, le 63 avait été muré après acquisition par la ville de Marseille. Le 65 avait quant à lui reçu la visite d’un expert en date du 19 octobre dernier, concluant à un arrêté de péril imminent et une interdiction d’habiter le 1er étage.

Une prise de conscience et un principe de précaution se mettent en place, la ville fait évacuer 1054 personnes et 111 immeubles depuis la tragédie de Noailles. Parmi elles, 800 sont logées en hôtel par la municipalité, les autres ont pu trouver une solution par leurs propres moyens. Pour prendre la mesure du phénomène, le journal La Marseillaise a mis en ligne une carte interactive recensant les différents immeubles évacués à ce jour.

La mairie des 1er et 7e arrondissements est devenue le QG des victimes directes ou collatérales. Investi notamment par la Croix Rouge, le site centralise les vêtements, produits d’hygiène ou encore fournitures scolaires donnés par de nombreux Marseillais. Les actions de solidarité se sont également multipliées au cours de la semaine du 12 novembre. Soirées concerts, spectacles, collectes de vêtements ont ainsi été organisées au profit des victimes dans des établissements des environs du drame. Un concert solidaire avec IAM, Keny Arkana ou Sat de Fonky Family se tiendra le 21 décembre à l’Espace Julien. Il affiche déjà complet.

, Drame de la rue d’Aubagne, Marseille face à son avenir politique, Made in Marseille

Des élus en première ligne

Les habitants du quartier et d’ailleurs demandent des comptes. Surtout après les révélations sur l’identité du propriétaire d’un des logements du 65 rue d’Aubagne. Il s’agit de Xavier Cachard, vice-président aux finances et président de la commission d’appel d’offres à la région Sud – Provence Alpes Côte d’Azur. L’élu LR a alors présenté sa démission à Renaud Muselier qui l’a acceptée. Mais le président de la Région est allé plus loin en suspendant Arlette Fructus en charge notamment du logement à la ville de Marseille. Une manière de prendre ses distances avec la municipalité. L’élue mise à pieds, elle, dénonce la volonté de « voir en [elle] un fusible ! c’est écœurant et nauséabond ! »

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Arlette Fructus est en première ligne depuis le 5 novembre

Du côté de la métropole, Martine Vassal a accepté le 17 novembre la démission de Bernard Jacquier, vice-président délégué à la commande publique et à la commission d’appel d’offres. Propriétaire d’un appartement insalubre à la Belle de Mai évacué la semaine dernière, l’élu du 4e secteur n’avait d’autre choix que se retirer. Côté habitants, une marche blanche a eu lieu samedi 10 novembre. Un rassemblement calme en forme d’hommage aux disparus.

Après le recueillement, le temps des réponses : démission, mise sous tutelle, des décisions politiques inadaptées ?

Quelques jours après la marche blanche, les habitants de Noailles avaient organisé une « marche de la colère », rassemblant 8000 personnes. Dans le cortège, une convergence des luttes locales s’est faite ressentir. L’expression d’un ras-le-bol à grand renfort de « Gaudin démission ! » avec pour élément déclencheur le drame de la rue d’Aubagne. Il était question de l’état de l’habitat marseillais mais aussi de celui des écoles ou encore de la rénovation de la Plaine, murée depuis la fin octobre pour la tenue des travaux.


Face à l’ampleur de la vague de contestation, Jean-Claude Gaudin n’entend pas se retirer de ses fonctions. Et, si une telle décision devait être prise, elle ne changerait pas grand chose. Le symbole, aussi fort soit-il pour les opposants en quête de responsables, ne pourrait pas bousculer l’ordre établi. « Si le maire démissionne le suivant de liste monte et le conseil municipal procède à une nouvelle élection. Un nouveau maire est alors désigné jusqu’à la prochaine élection municipale », nous explique Yves Luchaire, professeur de droit public à Sciences-Po Aix. Ainsi, le conseil municipal composé de 101 personnes dont 61 pour le groupe Marseille en Avant (Ndlr : majorité municipale) pourrait dans la foulée faire réélire un maire issu de sa majorité jusqu’aux prochaines élections municipales de 2020. C’est actuellement Yves Moraine qui occupe le poste de président du groupe au conseil municipal.

Certains observateurs vont encore plus loin. En effet, l’idée d’une « mise sous tutelle de l’Etat » est aussi avancée. Un clin d’œil aux événements de 1938 au moment du grand incendie des Nouvelles Galerie qui avait causé la mort de 73 personnes. Devant la désorganisation des pompiers, Edouard Herriot le président de la chambre des députés avait décidé de placer la ville sous tutelle de l’Etat début 1939. Un administrateur nommé a alors eu la charge de réorganiser les services municipaux.


Mais aujourd’hui « une mise sous tutelle est impossible », affirme Yves Luchaire. « La mise sous tutelle de 1939 s’est faite sous l’empire de dispositions qui n’existent plus. De nos jours, il y a simplement des dispositions qui permettent au préfet de régler le budget lui-même après consultation de la chambre régionale des comptes si le budget est en déficit ou lorsqu’il n’a pas été voté en temps suffisant. C’est l’article L1612-4 », conclut-il.

Mesure budgétaire, la mise sous tutelle même partielle est impossible à imposer à une collectivité d’après ce spécialiste du droit.

Alors, quelles solutions concrètes pour éradiquer l’habitat indigne ?

Christophe Castaner a annoncé le lancement prochain d’un « plan d’audit immeuble par immeuble » pour lutter contre l’habitat insalubre. La Marseillaise a aussi lancé un projet de diagnostic similaire en partenariat avec Emmaüs Pointe Rouge, le Droit au Logement et Donut Infolab. Il incite les habitants à poster leurs photos sous le hashtag #BalanceTonTaudis et de remplir un formulaire sur le site du journal. L’objectif est de dresser un nouvel état des lieux de l’habitat indigne.

Une lettre des ministres a été adressée la semaine dernière à Jean-Claude Gaudin, à lire ici : Lettre_des_Ministres. Elle explique que l’Etat, qui n’envisage pas la mise sous tutelle de la ville de Marseille, entend accompagner les services municipaux pour accélérer la mise en oeuvre d’opérations de rénovation du bâti.

Du côté des politiques locaux, Martine Vassal doit présenter son plan de lutte contre l’habitat indigne le 23 novembre, annonce faite en conseil de territoire Marseille-Provence. La présidente de la métropole et du département y déclinera une liste de mesures très attendue.

Bruno Gilles, sénateur proche de Jean-Claude Gaudin et candidat déclaré à la mairie de Marseille en 2020 avec le soutien du maire, a affirmé que la lutte contre l’habitat indigne n’avait jusqu’ici pas été une priorité. « On n’a pas été bon », affirmait-il en conférence de presse au Sénat. Le maire du 3e secteur préconise l’instauration d’un « plan Marshall » pour les copropriétés dégradées.  Il souhaite notamment la mise en place d’une Opération de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), mesure déjà proposée dans le Rapport Nicol – Marseille 27 mai 2015.

De même pour Renaud Muselier, président de la région Provence Alpes Côte d’Azur, ancien dauphin de Jean-Claude Gaudin, et depuis quelques années, plutôt en désaccord avec sa politique municipale, pressenti aussi selon certains observateurs pour une candidature en 2020. Il déclare au Figaro ce vendredi 16 novembre dans un entretien repris sur France Bleu « Il y a un aveu d’impuissance du maire qui demande aide et assistance à l’État ». Renaud Muselier estime également que « si l’État met les moyens humains et financiers suffisants, nous sortirons vite de ce problème.»Interrogé sur les responsabilités des collectivités sur l’habitat indigne, Renaud Muselier a rappelé que « tout ce qui relève de la salubrité relève du propriétaire, du maire ou de l’État », ajoutant que le conseil régional avait « engagé 35 opérations de soutien concernant 2.500 logements. La Région a débloqué 110.000 euros d’aide immédiate pour la Croix-Rouge, les urgences et une cellule psychologique ».

Samia Ghali, sénatrice socialiste des quartiers nord, reprend quant à elle l’idée de mettre en place le permis de louer pour les logements indignes. Une proposition qu’elle soumettra au prochain conseil municipal. « La loi Alur le permet et plusieurs communes l’ont déjà mis en place. Concrètement, il permettra à la ville de Marseille d’exiger une déclaration préalable à la location ou une autorisation préalable à la location d’un logement », précise l’élue. Mais aussi, la création d’une Opération d’Intérêt National dans le Grand Centre-Ville et la création d’ORCOD-IN sur chaque site expertisé comme indigne.

Alexandra Louis, député LREM, que nous avons contacté aujourd’hui, dénonce la responsabilité des collectivités locales « La métropole doit prendre ses responsabilités. Les élus locaux veulent être toujours décideurs mais jamais payeurs ! ». L’élue de la 3e circonscription souligne l’engagement de l’Etat à travers le plan « Initiative Copropriété » qui vise à rénover les copropriété dégradées en investissant 3 milliards d’euros sur 10 ans. Elle préconise également une refonte totale des services municipaux en matière de signalement de logement insalubre. Mme Louis souhaite la mise en place d’un numéro unique de signalement ainsi qu’une meilleure traçabilité au niveau des administrations.

Série d’articles et reportages « Dossier spécial : Solidarité et Solutions, drame de la rue d’Aubagne à Noailles »

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