Made in Marseille a rencontré Alain Lacroix, expert économique du territoire Marseille – Provence grâce à ses différentes casquettes de président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la région PACA et de la Caisse d’Épargne Provence Alpes Corse (CEPAC), pour parler de l’attractivité et du potentiel de ce territoire.

Alain Lacroix est également président du Club Top 20, qui rassemble des entrepreneurs du territoire qui partagent l’ambition de hisser Marseille Provence dans les vingt premières métropoles européennes. Il nous parle de l’évolution du territoire Marseille Provence depuis ces 10 dernières années, de ses atouts et faiblesses en termes d’attractivité et du virage du numérique qui a changé l’économie marseillaise.

Selon lui, il manque à ce territoire une vraie vision sur le long terme afin de réussir le pari de retrouver une attractivité forte.


, Alain Lacroix « Le territoire a besoin d’une vision pour ne pas rater son évolution », Made in Marseille
Alain Lacroix © Studio Hors-Champs

Made in Marseille – Bonjour Alain Lacroix. Vous observez le territoire Marseille Provence depuis plusieurs années déjà. Quel regard portez-vous sur son évolution ces 10 dernières années ?

Alain Lacroix – Vous savez, je ne suis pas né ici… Donc je n’ai pas l’antériorité qui me permet d’analyser l’évolution de la ville sur 25 ans ou 30 ans. Comme je le dis souvent, le temps des villes n’est pas le temps des hommes, il est beaucoup plus long. Mais, j’ai le sentiment d’être arrivé au bon moment (Ndlr : il y a 8 ans), car je pense que les choses étaient enclenchées depuis un certain temps. Au fond sur ces dix dernières années, il y a deux choses à analyser : la ville de Marseille en elle-même et l’institution, autrement dit la métropole, construite il y a peu de temps. Concernant la cité de Marseille, j’ai pu voir à mon arrivée qu’il y avait beaucoup de choses à faire, notamment sur le périmètre d’Euroméditerranée qui est en quelque sorte le lieu où la ville renaît, même s’il y a d’autres endroits comme le Stade Vélodrome, la rue Paradis ou encore le Vieux-Port… Tout cela contribue beaucoup à modifier la perception qu’on a de la ville. Et moi même, je ne suis plus un observateur objectif car je me sens trop d’ici maintenant, mais les personnes que je fais venir à Marseille et qui viennent de Paris ou d’ailleurs, portent un œil sur Marseille qui est aux antipodes de ce que les médias montrent. C’est une bonne chose et c’est cette évolution que je mesure.

Concernant la nouvelle métropole Aix Marseille Provence, diriez-vous quelle accélère le développement et l’attractivité locale ?

Quand on construit une métropole, on n’est pas en train de faire des routes, des ponts et des bâtiments. On construit quelque chose qui est limite beaucoup plus porteur encore et qui ira plus loin, car à mon avis c’est plus facile de faire bouger un bâtiment et de le transformer que de faire bouger des femmes et des hommes. Et c’est cela qui est rendu possible avec la création de cette métropole, qui avait raté « le virage » il y a 60 ans avec Gaston Defferre. Je n’ai pas à apporter de jugement là-dessus, je pense que les circonstances n’étaient pas les mêmes, et à sa place j’aurais peut être fait la même chose… Mais dans l’absolu, le territoire a perdu 60 ans. D’ailleurs, aujourd’hui, je ressens une certaine impatience de la part des Marseillais qui veulent que cette métropole soit terminée immédiatement. Mais, moi je pense qu’après avoir perdu 60 ans, on peut bien perdre trois ou quatre ans pour construire quelque chose de durable. Même si aujourd’hui cette métropole n’est pas parfaite et est balbutiante, le plus important a été fait.

« Je ressens une certaine impatience des Marseillais concernant la construction de la métropole. Mais il vaut mieux perdre encore 3 ou 4 ans pour construire quelque chose de durable que tout faire trop vite ».

On entend souvent dans les médias nationaux, que « la bascule » sur l’image de Marseille s’est faite en 2013, lorsque Marseille a été Capitale Européenne de la Culture. Ici à Marseille, certains disent que 2013 était surtout la preuve que l’on pouvait organiser des événements métropolitains et fédérer les acteurs…

Je pense qu’on aurait pu faire 2013 et rater la métropole. 2013 a été une vraie démonstration d’une chose qui, vue de l’extérieur, paraissait impossible : réunir une population énorme sur le Vieux-Port, un soir, et que tout cela se passe dans la joie et la bonne humeur sans accroche. On se l’ait prouvé à nous-même aussi. Je ne pense pas que c’est ça qui a contribué à faire la métropole, avec nos 109 maires qui étaient contre et qui se sont battus comme des chiffonniers contre ce projet et contre la réalité. Ce qui m’étonne toujours pour moi, chez les femmes et les hommes, c’est le déni. Ces mêmes maires, à mon avis, ont des enfants ou des petits-enfants qu’ils envoient dans des grandes écoles, pas ici mais ailleurs, voire faire des stages à l’étranger. Et ces mêmes maires étaient pour un recroquevillement sur des bases territoriales qui dataient d’après la révolution française ! C’est une sorte de schizophrénie au fond… Donc, on aurait pu faire 2013 et pas de métropole, mais les choses se sont enclenchées avec les autres et c’est bien car ça montre que ça bouge.

Pour parler du numérique à présent. C’est un changement radical de cap pour l’économie locale. Après la désindustrialisation, Marseille s’est progressivement paupérisée. Depuis, elle se cherchait un peu un nouveau souffle. Pensez vous qu’elle le tient enfin ? Et qu’elle va pouvoir devenir la Californie de l’Europe comme le souhaitent les spécialistes de l’écosystème French Tech ? Honnêtement, en a-t-elle la capacité ?

Comme je l’ai déjà dit, « Nous sommes la Floride et il nous reste à devenir la Californie ». La Floride c’est quoi ? Il fait beau, les retraités y viennent et puis c’est tout. La Californie, c’est autre chose : il fait beau et c’est là où se passe un certain nombre de choses. Je pense qu’on est en train de faire un saut quantique et qu’on change de paradigme. Et cela se produit car on a tout pour le faire. Quand je parle de Californie, ce n’est pas pour rien. Je suis persuadé que la réussite et la performance sont aujourd’hui très couplées dans la tête des gens avec la qualité de vie. On n’est plus dans l’époque industrielle avec seulement le travail. On est dans une logique maintenant générationnelle qui couple à la fois le travail, l’épanouissement, la performance et aussi un équilibre de vie. Quand on a la chance d’être ici, je pense que cet équilibre de vie là, on peut mieux l’obtenir que dans certaines régions de France où il n’y a pas cette qualité de vie, la mer, le beau temps… C’est un atout territorial fort.

« Quand on a la chance d’être ici, on peut plus facilement atteindre un équilibre de vie que dans certaines autres régions de France ».

Quels sont les autres atouts du territoire ?

Puisque l’on est en train de faire un saut quantique, notre tissu industriel à nous, ce n’est plus une usine, c’est quelque chose qui s’appuie sur des savoir-faire et des développements. Ces derniers sont à la fois très liés au digital et aux jeunes femmes et hommes qui ont une capacité de création qui ne passe pas par un enjeu capitalistique, au moins dans un premier temps. Il faut d’abord avoir des idées et les mettre en œuvre, ça peut faire de l’argent, mais ça n’en nécessite pas au départ comme avant quand on voulait monter une usine. Toutes les activités qui sont de pointe ici, dans les domaines de la santé, de la recherche, de l’innovation par exemple, sont assez en résonance avec cette énième révolution industrielle qui est en train de se faire. Mais après on peut aussi tout rater ! C’est là tout l’enjeu justement de la gouvernance de ce territoire et il lui faut une vision pour ne pas le rater.

Quelle est cette vision que doit avoir la métropole selon vous ?

On a réussi à monter le schéma administratif, juridique et constituer cette métropole, mais on n’a pas fait rêver. Moi, je pense qu’on réussit à attirer si on raconte une histoire. Et il y a véritablement quelque chose à écrire ici pour montrer aux habitants ce que notre territoire pourrait être à l’horizon 2030. On a manqué de ça et je pense qu’on pourrait écrire quelque chose pour amener les gens. Et en externe, pour faire venir des entreprises, des investisseurs, il ne faut pas leur raconter ce qu’ils voient aujourd’hui dans les rues mais ce que ça pourrait devenir demain. Il ne s’agit pas de vendre des choses invendables, mais véritablement de porter une ambition. C’est comme ça qu’on fédère les gens, et ça il nous le manque…

« En termes d’attractivité, on réussit à attirer les gens non pas avec des chiffres mais si on raconte une histoire. Et il y a véritablement quelque chose à écrire ici ».

Il manque donc une vision selon vous, mais peut-être qu’il manque encore d’autres choses à ce territoire… Quoi selon vous ?

Il faut avoir une vision plus architecturée qui permette d’économiser les moyens et d’avoir une cohérence dans les moyens de transport. Ici par exemple, on n’a pas une carte de transport unique comme on l’a déjà à Paris. À Paris, on critique pas mal madame Hidalgo, mais il y a une chose avec laquelle je suis d’accord : j’ai l’intime conviction qu’à l’horizon des 15 prochaines années, il n’y aura plus de voitures dans les villes, et elles seront remplacées par des moyens de transport adaptés. À Paris, on peut déjà exiger ça et il y a des moyens de transports divers et variés. Ce sont des évolutions inéluctables. Et cette intelligence-là va petit à petit arriver à Marseille. La ville a beaucoup de qualité et des inconvénients : c’est la plus grande ville de France en superficie et sa géographie est compliquée. Elle est emprisonnée entre les montagnes et la mer, cela n’est pas pratique en termes de capacité à fluidifier les choses. Mais il faut y travailler et il faut un architecte pour tout ça. Il faudra, à un moment donné, un organe ou un organisme qui organise tout ça, bien sûr en consultant car en imposant les choses ça ne fonctionnera pas.

Vous parlez d’évolution inéluctable pour les moyens de transports, mais il y en a une autre qui va radicalement transformer le rapport vis à vis du territoire sur lequel on vit : la digitalisation. 

Oui, nous on le voit dans nos entreprises, tout évolue très vite. Pour créer un compte en banque par exemple, puisque c’est mon domaine, on n’a plus besoin de passer en agence, on peut faire ça par internet… Mais pour le commerce de détails, j’ai une vraie appréhension. Les grandes surfaces ont tué les épiceries de nos mamans et je pense que le digital, si on ne fait pas attention, est en passe de tuer le commerce de détail. Je vois le danger pour les commerces, mais je ne sais pas comment le traiter. Tout le commerce de proximité qui n’apporte pas une valeur ajoutée, celui-là va être sorti du jeu. Si vous apportez une expertise, si vous vendez des produits sophistiqués ou si vous apportez un service, on fera toujours attention de venir chez vous pour bénéficier de vos conseils, mais tout ce qui est vraiment manufacturé et commun, ça sortira.

« Si on ne fait pas attention, le digital pourrait tuer le commerce de détail ».

Les centres-villes sont donc amenés à se vider selon vous ?

Si les commerces de proximité ferment un par un, ça va créer des déserts. C’est le début de quelque chose d’autre et pour moi c’est un vrai sujet. Je pense qu’il faut en prendre conscience, même si je ne sais pas très bien comment lutter contre ça. Regardez, par exemple, il n’y a déjà plus d’agences de voyage dans les rues, ni de magasins où on développait des photos et je ne donne pas cinq ans aux agences immobilières non plus. Le problème, c’est qu’il faut tout faire pour ne pas vider le cœur de ville. C’est pour ça que c’est bien d’avoir refait la rue Paradis qui est quand même une des plus belles rues de Marseille. Je pense qu’il faut poursuivre dans ce sens. Ce n’est pas simple et peut-être moins simple que de refaire le secteur Euroméditerranée par exemple, où vous rasez et repartez de rien. Le cœur de ville est tellement beau et il doit rester un endroit d’histoire, avec des commerces qu’on ne va pas trouver ailleurs dans les centres commerciaux. Ça peut être un vrai lieu de « promenade », mais il faut le lui rendre. Je suis optimiste, car il faut toujours être optimiste. Ce sont les optimistes qui changent le monde, pas les pessimistes.

Retranscription par Agathe Perrier

Un commentaire

  1. Erreur ! La plus grande ville de France en superficie, c’est Arles (758 km²), Marseille ne dépassant pas les 240 km²…

    Ensuite, on continue à constater que les pro-métropole continuent de se couvrir les yeux quand il s’agit de dire POURQUOI 109 maires se sont prononcé contre !

    Marseille, l’une des villes les plus mal gérées de France, une dette abyssale, une emprise des corps intermédiaires et d’une mafia qui ne dit pas son nom, un clientélisme endémique qui ne faiblit pas depuis 80 ans, bref, le côté obscur qu’on cache soigneusement aux décideurs politiques et économiques qui n’ont jamais vu la ville qu’au travers de reportages télé faisant la publicité d’un fusil mitrailleur semi-automatique ex-soviétique datant de la guerre froide…

    C’est avec toutes ces tares qu’on ne saurait nier (sauf à faire preuve d’une rare malhonnêteté intellectuelle ou d’une mauvaise foi délirante) que les politiques marseillais ont réussi à convaincre le gouvernement Ayrault d’imposer une réforme territoriale qui faisait l’unanimité (hors Marseille) contre elle ! Rengaine ressassée à longueur d’auditions devant les parlementaires : « la riche et égoïste périphérie qui ne vaut pas payer pour la pauvre ville-centre »… Ce serait oublier que ce sont les marseillais qui les premiers (nous étions dans les années 1960) ont refusé une grande communauté urbaine, car craignant de devoir financer l’urbanisation d’une périphérie pauvre, mais en cours d’industrialisation (Aix-Les Milles, Fos/Mer…) !

    La solidarité exigée d’Aix et des autres villes opposées à la métropole d’aujourd’hui impliquait-elle aussi de fermer les yeux sur une gestion calamiteuse, ou le clientélisme le dispute à la co-gestion syndicale, ou l’influence du « milieu » côtoie celle des CIQ ? Est-ce aux 91 communes annexées de force de devoir payer sans contrepartie aucune les conséquences de la gabegie des marseillais, gabegie qui, loin de disparaître, va maintenant pouvoir se nourrir sur la « métropole » ?

    Ensuite, pour faire une métropole, il faut avoir une vision métropolitaine… Las ! A Marseille, il n’y a que l’intérêt de Marseille qui compte ! 2600 ans que les marseillais n’ont rien fait (de bien) pour leur voisins, à chaque fois ils ont essayé de tirer à eux toute la couverture des retombées positives des moindres collaborations avec les autres collectivités, on a pu le constater lors de MP2013 ! Comment les marseillais voient le reste du territoire ? Un tiroir-caisse, un faire-valoir, et une poubelle ! Ce ne sont pas les habitants du golfe de Fos/Mer qui me contrediront; Fos/Mer, où se trouve 90% de l’activité marchandises du GPMM (mais ce sont les marseillais qui s’accaparent pour eux tous seul le prestige du premier port de France), et où les marseillais ont implanté de force (et illégalement de surcroît !) un incinérateur à ordures qui n’avait franchement pas sa place dans un endroit où les gens n’avaient pas besoin de ça pour respirer l’air le plus pollué de France !… Une métropole ? Ces gens dont les droits ont été bafoués ne voient qu’un empire colonial taillé sur mesure pour les seuls marseillais !

    Je rappelle au président du Club Top 20 le mot de son fondateur, le regretté Frédéric Chevalier, dont le bon sens avait fait dire en novembre 2011 dans les colonnes du journal La Provence : « il est clair que depuis que Marseille a construit son incinérateur à Fos, plus rien ne va ! »
    Et que fait-on de ce contentieux ? On le planque sous le tapis ! Pas de vagues, l’omerta règne… On n’aurait même pas entendu parler de l’étude sanitaire Fos EPSEAL dénonçant un état de santé catastrophique des habitants de Fos/Mer et Port St Louis du Rhône, s’il n’y avait eu que le journal La Provence pour le relater !…

    « Heureux » les aixois, aubagnais, vitrollais, salonais et autres gardannais, qui ne verront de la « métropole » que l’inexorable augmentation de leurs impôts locaux, pour rembourser les dettes de Marseille, et payer les investissements prévus par un « agenda de la mobilité métropolitaine », investissements dont 90% des montants concernent exclusivement des projets situés à… Marseille ! Et comment ne pas évoquer la composition de l’assemblée « métropolitaine », où non seulement les marseillais ont une quasi majorité absolue (108 voix sur 240), mais où, pire encore, des communes sont jusqu’à 160 fois mieux représentées que d’autres !! Saisi sur cette question, le Conseil Constitutionnel a jugé (sans rire !) que les populations lésées sont trop peu nombreuses pour y trouver à redire ! Adieu le principe d’égalité des citoyens…

    Tout pour Marseille, des miettes pour les autres (dans le meilleur des cas !).. Voilà la « métropole » telle qu’elle se présente aujourd’hui ! Les 860 000 marseillais y trouveront leur compte, mais pas le million de provençaux, qui se sentent abandonnés de tous, sacrifiés sur l’autel d’intérêts politiciens, et qui n’ont plus d’autre moyen de se faire entendre que de porter leurs bulletins de votes aux extrêmes !…

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